En décembre 2018, la prestigieuse marque de luxe Prada a été contrainte de retirer de ses vitrines un accessoire représentant un petit singe noir avec une grosse bouche rouge. Accusée aux Etats-Unis de racisme et de blackface par le tribunal de la vindicte, l’entreprise italienne a publié sur son compte Twitter des excuses, précisant qu’elle n’avait « jamais eu l’intention d’offenser qui que ce soit ». Il n’est pas question ici de porter un jugement sur le caractère inapproprié ou non de l’accessoire, prénommé « Otto ».
Mais il est important de s’interroger sur les limites de ce qu’il « convient » de faire ou de ne pas faire, de représenter ou de ne pas représenter. Cet événement n’est que l’une des récentes illustrations de « l’appropriation culturelle » qui, sévissant déjà outre-Atlantique, gagne progressivement notre pays. Qui prend place dans un phénomène social plus vaste, au sein duquel il est devenu gênant d’adorer certaines idoles, gênant d’aimer des auteurs autrefois qualifiés de géniaux, aujourd’hui de trop sulfureux, gênant de faire de l’humour aisément qualifié de « déplacé ». Il est devenu gênant de penser librement.
Soufflant déjà fort sur l’Amérique paradoxale, voici venir le vent de la police de la liberté. De la bienséance, du règne du politiquement mais aussi du scientifiquement correct. Ce n’est pas un problème de morale, comme on le pense parfois à tort. Elle a juste ceci d’« emmerdant » qu’elle est « toujours la morale des autres », pour reprendre les mots de Léo Ferré, celui-là même qui est aujourd’hui excommunié pour cause de misogynie aggravée. « Ce n’est pas bien » est une assertion qui a l’habitude de se mouvoir dans les cercles de moralité. « Il ne faut pas » est venu marquer le progrès de l’humanité, recevant les dix commandements avant de bâtir des Etats de droit. Le « ce n’est pas bien » ajoute à l’interdit juridique existant la présomption qu’il en existerait d’autres, à la fois inférieurs (puisque non normatifs) et supérieurs (puisque inscrits dans l’ordre de la nature).
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