"Les élections sénatoriales sont un moment particulier pour tout enseignant de droit constitutionnel."
PARLEMENT - Il était une époque où le Sénat devait donner son consentement avant la dissolution de la Chambre des députés. Une autre, impériale, où son absence d’indépendance était telle que Victor Hugo, l’exilé, appela son chien “Sénat”, avant d’en être un membre respecté. Il fut tour à tour Conseil des Anciens, cénacle aux accents romain, anglais, Conseil de la République, avant d’être cette chambre haute tantôt respectée, tantôt décriée à un point tel que sa suppression est régulièrement évoquée.
“Oui, à cette heure, l’esprit de gouvernement est dans l’opposition, et l’esprit de révolution est dans le gouvernement. […] Oui, soyez le gouvernement. Arrêtez net cette étrange insurrection du 16 mai. […] Le Sénat, en rejetant la dissolution, rassure la patrie et prouve qu’il est nécessaire”.
Opposé à la dissolution de la Chambre des députés, voulue par un Mac-Mahon qui espérait une majorité monarchiste, Victor Hugo appelle les sénateurs à prouver leur “nécessité”. Ce discours prononcé le 12 juin 1877 est à ranger parmi ceux qui font la fierté d’une institution le plus souvent habituée, aujourd’hui, à recevoir des critiques relatives à son caractère trop conservateur, sa moyenne d’âge trop élevée, son mode de désignation trop complexe et surtout insuffisamment démocratique.
Les élections sénatoriales sont un moment particulier pour tout enseignant de droit constitutionnel qui doit expliquer, à un jeune auditoire qui a soif de démocratie directe, que ces parlementaires ne sont désignés qu’indirectement par un collège d’élus locaux. Néanmoins, c’est bien la Nation tout entière qu’ils représentent.
Bannir les caciques, pas l’expérience
“Assemblée de retraités”, de “notables réactionnaires”, les images péjoratives ne manquent pas pour désigner la seconde chambre du parlement qu’il est parfois difficile de réhabiliter. Il existe une autre manière de présenter le Sénat, si on veut bien se recentrer sur le droit constitutionnel et non les statistiques dites “sociologiques” qui font de la “hauteur” de cette chambre une analyse aussi caricaturale que celles qui pointent la “bassesse” de l’autre.
Une manière technique, tout d’abord, en reprenant les critiques les plus usuelles. Une moyenne d’âge élevée n’a pas toujours été un défaut pour qui s’intéresse aux vertus de la prudence et la sagesse au sens aristotélicien. Si les caciques sont à bannir au sein d’une République, tel ne doit pas être le cas de l’expérience. Faire de la politique un métier n’est condamnable que si le voile des suspicions de la prévalence de l’intérêt personnel prime sur l’intérêt général.
Pour ne prendre que la session en cours, le Sénat a prouvé qu’il était quantitativement et qualitativement nécessaire. Plus de 80% des textes ont été adoptés après un accord entre les deux chambres (soit par la navette, soit à l’issue d’un accord en commission mixte paritaire). Par ailleurs, la lecture des débats parlementaires procure parfois au chercheur la sensation du soulagement: certains textes sont considérablement améliorés après leur passage au Sénat.
Même si la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a permis à l’ensemble des parlementaires de travailler dans un climat plus apaisé, car mieux maîtrisé, le bicamérisme demeure le rempart de la modération et du temps de la réflexion (que Clemenceau attribuait d’ailleurs à la seconde chambre: “Le temps de la réflexion, c’est le Sénat”). Il est conceptuellement compliqué de séparer critique du Sénat et éloge du bicamérisme.
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