L’impact de la technologie informatique sur l’emploi dans les pays industrialisés fait grand débat, et de nombreuses études montrent un risque d’augmentation des inégalités à cause d’une baisse du nombre d’emplois peu qualifiés. En revanche, nous en savons beaucoup moins sur l’impact dans les pays pauvres. L’Internet serait-il un facteur d’augmentation des inégalités en Afrique par exemple ? Et quel seront ses effets sur l’activité économique ? Servira-t-il principalement à la propagation des réseaux sociaux et à la consommation de vidéos de chats, ou aura-t-il un impact en profondeur sur le fonctionnement des entreprises ?
Une étude parue dans une revue phare américaine répond à ces questions de manière très positive (« The Arrival of Fast Internet and Employment in Africa », par Jonas Hjort et Jonas Poulsen, American Economic Review 2019, vol. 109, https://doi.org/10.1257/aer.20161385). La méthodologie des chercheurs est rigoureuse : il ne suffit pas de comparer l’ensemble des zones qui ont l’accès à l’Internet à l’ensemble de celles qui n’en ont pas, qui pourraient être différentes à bien d’autres égards. Ils regardent l’arrivée sur la côte africaine de câbles sous-marins qui fournissent un accès haut débit. Ils comparent les changements d’activité économique depuis l’arrivée du câble avec ceux sur la même période dans des zones similaires où, en raison des aléas du timing, le câble sous-marin est arrivé à un autre moment.
Les auteurs constatent une augmentation de la probabilité de l’emploi des travailleurs africains due à l’arrivée des câbles sous-marins entre 3,1 % et 13,9 % selon le pays en question. Ce qui est plus encourageant encore est que, si les travailleurs diplômés voient une augmentation de la probabilité d’avoir un emploi qualifié, les travailleurs non diplômés ont aussi une augmentation de leur probabilité d’emploi dans un emploi non qualifié.
Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer (et contrairement au constat dans les pays industrialisés), les nouveaux emplois qualifiés ne viennent pas au détriment des emplois non qualifiés. Les auteurs constatent aussi qu’ils ne viennent pas non plus au détriment des emplois dans des zones voisines. Il s’agit d’une vraie création d’activité économique, et non pas d’une relocalisation d’activité des zones non connectées vers des zones connectées.
Luminosité nocturne
Le processus par lequel ces effets sont produits est en partie dû à une amélioration de la productivité des entreprises existantes, mais aussi dans une large mesure à l’entrée sur le marché de nouvelles entreprises. Cela souligne l’importance du libre accès des marchés à l’arrivée de nouvelles sociétés et de l’absence d’obstacles bureaucratiques à leur création.
Pour conclure, les auteurs tentent de vérifier que la création d’emplois constatée par les enquêtes correspond bien à de l’activité économique mesurée par d’autres moyens. A cette fin, ils se servent d’une mesure qui est de plus en plus utilisée par des chercheurs dans des pays à faible couverture statistique – à savoir la luminosité nocturne. Plus une zone est prospère, plus elle sera visible la nuit sur les images satellites – comme le montre le contraste entre la Corée du Nord, très sombre, et la Corée du Sud, étincelante.
La contribution de l’arrivée des câbles sous-marins à la luminosité des zones connectées en Afrique est estimée par les auteurs à entre 2,4 % et 3,3 %, un effet qui se manifeste sur trois ans mais se produit dès la première année. Il semble peu probable que cette luminosité soit produite entièrement par des vidéos de chats.
A une époque où la technologie informatique provoque de plus en plus d’inquiétude dans les pays riches, que ce soit par peur de la robotisation de l’emploi ou par inquiétude sur l’impact psychologique ou politique d’une dépendance croissante des populations sur les réseaux sociaux, il est encourageant de constater que cette technologie a des effets importants sur un continent qui manque encore cruellement d’opportunités économiques pour ses habitants.
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