Chronique. La remontée de l’antisémitisme dans le monde ces dernières années est souvent habillée dans des discours prétextant des motivations idéologiques. Depuis des siècles, des antisémites s’appuient sur des fictions plus ou moins grossières pour tenter de justifier leur haine. Il serait pourtant trompeur de penser que l’antisémitisme fleurit uniquement dans un contexte de propagande, ou que ses racines sont uniquement culturelles. Parfois ces fictions se répandent précisément parce que ceux qui les entendent ont des motivations plus cyniquement économiques pour y croire, ou pour faire semblant d’y croire.
Un article fascinant paru ce mois-ci dans une prestigieuse revue américaine analyse six siècles d’antisémitisme pour montrer que, malgré son habillage idéologique, l’antisémitisme a également des racines économiques (« Religion, Division of Labor, and Conflict : Anti-Semitism in Germany over 600 Years », Sascha O. Becker et Luigi Pascali, American Economic Review 109/5, 2019).
L’idée de base est très simple. Aux XIVe et XVe siècles, l’interdiction du prêt à intérêt par l’Eglise catholique rendait les activités économiques des juifs et des chrétiens plutôt complémentaires ; les uns avaient besoin des autres et vice versa. D’autant plus que le niveau d’éducation moyen des catholiques était bien inférieur à celui des juifs car le catholicisme offrait peu d’incitations au peuple à poursuivre l’éducation.
La Réforme, au début du XVIe siècle, non seulement permettait aux protestants de s’impliquer dans les prêts à intérêt, mais offrait des incitations plus importantes à l’éducation : un protestant lettré pouvait lire la Bible dans sa propre langue sans devoir apprendre le latin. Résultat : les activités économiques des protestants et des juifs n’étaient plus complémentaires mais devinrent substituables, donc concurrentes. Et entre concurrents, les coups les plus bas devinrent envisageables.
Les auteurs de cet article montrent comment, après la Réforme, les manifestations antisémites se sont multipliées dans les régions protestantes d’Allemagne par rapport aux régions catholiques. Il s’agit autant d’actes (pogroms, massacres et expulsions de communautés juives) que d’écrits (publications de livres aux titres antisémites).
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