Parmi les discriminations dont les femmes font encore l’objet dans le monde d’aujourd’hui, il en est une qui a reçu moins d’attention des médias ces derniers temps. Elle concerne la nourriture des petites filles dans les pays les plus pauvres.
Un enfant sur quatre dans le monde souffrait en 2014 d’un retard de croissance à cause d’une nourriture insuffisante, selon l’Unicef. Plus de 30 % de ces enfants habitent en Inde, un pays où l’on observe des retards de croissance chez 40 % des enfants, malgré la croissance économique impressionnante du pays ces dernières années.
Une étude récente met en cause la discrimination en faveur des fils, et notamment des fils aînés, comme un facteur majeur du maintien de ce lamentable état des choses (« Why are Indian children so short ? The role of birth order and son preference », Seema Jayachandran et Rohini Pande, American Economic Review, 107/9, 2017, lien vers PDF en anglais).
Quête pour un fils
Les auteurs comparent la croissance des enfants indiens à ceux d’un continent a priori encore plus défavorisé, à savoir l’Afrique. Selon la Banque mondiale, l’Afrique compte environ 50 % de personnes vivant sous le seuil de pauvreté de plus que l’Inde, mais les auteurs montrent que l’Inde compte davantage d’enfants souffrant d’un retard de croissance. Visiblement, les fruits de l’avance économique indienne ont été très inéquitablement répartis…
En analysant un échantillon de 168 000 enfants des deux continents, les chercheurs montrent que, parmi les aînés, il n’y pas de différence en taille entre les enfants africains et les enfants indiens. Mais à partir du deuxième enfant, les enfants indiens sont plus petits que les africains, un écart qui augmente encore plus à partir du troisième enfant. Ceci pourrait simplement indiquer une préférence pour les enfants aînés indépendamment de leur sexe. Mais une analyse plus approfondie montre l’importance de la discrimination en faveur du fils aîné.
Non seulement le fils aîné a un risque bien plus faible de souffrir d’un retard de croissance, comparé à ses frères cadets et encore plus à ses sœurs, mais les familles qui, par les aléas de la nature, n’ont pas de fils en premier ou en deuxième enfant, continuent leur quête pour un fils jusqu’à appauvrir la famille et mettre en danger la santé de leurs filles.
Préférence ancrée historiquement
Le gradient de la taille des enfants par rapport à leur ordre de naissance est plus important lorsque l’enfant aîné est une fille, ce qui montre l’importance des effets de genre. Cette discrimination est encore plus sévère dans les régions de l’Inde où la préférence pour le fils aîné est la plus ancrée historiquement, et où l’on observe un effet plus important de l’avortement sélectif sur la proportion des enfants nés garçons.
La discrimination est également plus sévère chez les hindous, pour qui la préférence pour le fils aîné est traditionnellement plus marquée que chez les musulmans. Elle est également plus marquée en Inde que chez ses voisins, le Pakistan et le Bangladesh, majoritairement musulmans.
Plus inquiétant encore, les familles moins pauvres en Inde montrent un gradient de la taille des enfants par rapport à leur ordre de naissance plus important que les familles plus pauvres. Ceci nous met en garde contre un optimisme facile qui prédirait la disparition rapide de cette discrimination au fur et à mesure de la croissance économique et du développement d’une classe moyenne.
Les auteurs estiment que plus de la moitié de l’écart de taille entre les enfants indiens et africains peut être expliquée par le phénomène de la préférence accordée aux fils aînés. D’autres facteurs jouent un rôle aussi, sans doute. Quelle que soit la proportion précise retenue, notons que ce handicap physique, responsable de tant d’autres maux physiques et psychologiques, continue d’être infligé consciemment par des millions de parents à leurs enfants.
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