L’économiste Paul Seabright rapporte, dans sa chronique, une étude du bilan désastreux de la perte des données d’un fichier au Royaume-Uni. Elle pourrait être à l’origine de 184 324 cas et 2 433 décès supplémentaires.
Chronique. Si des erreurs d’exécution sont inévitables dans la lutte contre la pandémie, certaines erreurs semblent plus absurdes que d’autres. Ce paraît être le cas de la perte de 15 841 cas de Covid-19 testés positifs dans une base de données officielle au Royaume-Uni, effacés entre le 25 septembre et le 2 octobre, car la base utilisait une ancienne version d’Excel qui avait une limite de 65 536 lignes par fichier. Ce qu’ignoraient les utilisateurs…
Ces cas n’ont, par conséquent, pas été notifiés au système de traçage mis en place par le gouvernement, et les contacts des personnes testées positives n’ont pas été alertés et n’ont donc pas pu s’isoler pour protéger les autres.
Chaque cas qui n’a pas été notifié aux autorités aurait donné lieu à environ 25 cas positifs supplémentaires dans les six semaines suivantes.
Les erreurs ne sont pas toujours inutiles pour la recherche scientique. Dans le domaine de l’efficacité des systèmes de traçage, le débat est rendu difficile par le fait que les caractéristiques des pays, où l’effort de traçage est plus systématique, sont souvent différentes de celles des pays où cet effort est moindre. Si Taïwan, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande ont réussi mieux que nous à maîtriser la pandémie, est-ce bien grâce à leurs systèmes de traçage soigneux, ou grâce à de nombreux autres facteurs logistiques et comportementaux qui ont pu jouer en leur faveur?
Deux chercheurs de l’université de Warwick (Royaume-Uni) et de la Harvard Business School (EtatsUnis) ont vu dans le asco de la base Excel britannique une occasionde mesurer l’utilité du traçage. Si dans certaines régions le traçage a été bloqué par une simple erreur technique, qui n’a pas influencé les autres conditions de la mise en œuvre, peut-on voir dans les régions concernées une expansion plus rapide de la pandémie ?
Impact géographique aléatoire
Les auteurs essayent ensuite de vérifier que les localités les plus affectées ne sont pas atypiques par ailleurs – c’est-à-dire que l’impact géographique de l’erreur a été vraiment aléatoire. On ne peut exclure d’autres influences cachées, mais ils en écartent au moins les plus probables.
Pour terminer, ils mesurent l’évolution des cas et des décès dans les localités les plus affectées – une tâche difficile car il s’agit non pas de chiffres mesurés à un seul moment mais de courbes qui évoluent dans le temps. Les estimations des auteurs sont frappantes. Toutes choses égales par ailleurs, chaque cas qui n’avait pas été notifié aux autorités à cause de l’erreur dans le fichier Excel aurait donné lieu à environ 25 cas supplémentaires testés positifs dans les six semaines suivantes. Le bilan total de l’erreur est ainsi estimé à 184 324 cas et à 2 433 décès supplémentaires, soit une hausse d’environ 20 %. Des tests de robustesse donnent lieu à des estimations légèrement différentes, mais du même ordre de grandeur.
L’efficacité d’un système de traçage dépend bien sûr de nombreux facteurs ; de plus, quand le virus est très répandu, le traçage sera forcément moins utile que dans les périodes où il est plus localisé. Mais les détails du chiffrage sont moins importants que la conclusion générale : une erreur dans le système de traçage est très coûteuse, ce qui prouve bien que le système a un rôle important à jouer dans la gestion de la pandémie.
Article publié dans Le Monde, le 5 décembre 2020
credit photo: Photo by Luke Chesser, Unsplash
Ajouter un commentaire