La transparence de l’information est une exigence de la vie économique. Lorsqu’il s’agitd’évaluer la qualité des entreprises, de leurs produits et de leurs services, tout citoyen sait que les informations nécessaires à son choix ont été en grande partie fournies par l’intéressé. Les règles de la comptabilité, de l’information nancière et de l’information des consommateurs ont justement pour objectif de limiter la capacité des entreprises à manipuler la communication pour se montrer sous une lumière positive.
Parfois, la manipulation de la communication peut faire des victimes, comme le montre le procès en cours mettant en cause le laboratoire Servier dans l’aire du Mediator. Des chercheurs américains se sont justement penchés sur la circulation de l’information concernant des traitements médicamenteux provoquant des effets secondaires suffisamment graves pour que les autorités se trouvent obligées d’en informer les laboratoires, les professions médicales et le public. (« The Friday Eect. Firm Lobbying, the Timing of Drug Safety Alerts, and Drug Side-Eects », Luis Diestre,Benjamin Barber IV, Juan Santalo, Management Science, 22 octobre 2019).
Les chercheurs ont étudié un échantillon de 441 avertissements publiés par la Food and Drug Administration (l’agence de régulation pharmaceutique américaine). Ils ont constaté que tous ces avertissements ne sont pas aussi efficaces en matière de diusion de l’information dans les médias et sur les réseaux sociaux.
Bénéfices
En particulier, les avertissements publiés un vendredi reçoivent moins d’attention. Ils font l’objet de moins de Retweet (35 % en moyenne) et de moins d’articles dans les six journaux principaux du pays (entre 23 % et 66 % en moyenne) que les avertissements publiés les autres jours de la semaine. Ce constat est cohérent avec l’impact du vendredi sur d’autres annonces commerciales et politiques, déjà démontré par d’autres études (par exemple, les annonces de baisse de prot des entreprises cotées ont moins d’impact sur le prix des actions) : le public, tout à la préparation du week-end, est en effet moins attentif aux informations de type professionnel ou scientique.
Les conséquences de cette attention plus faible sont importantes. Les patients n’étant pas toujours systématiquement informés des risques de leur traitement par la voie officielle, ils dépendent en effet de leur médecin traitant pour les avertir. Les auteurs estiment que, si les avertissements du vendredi étaient sortis un autre jour de la semaine, il y aurait eu en moyenne entre 9 % et 12 % moins d’effets secondaires associés aux traitements signalés.
En outre, l’écart est plus important pour les effets secondaires les plus sévères. Les auteurs calculent qu’il y aurait eu entre 22 % et 36 % moins de décès associés aux traitements, selon la méthode d’estimation. Cela est d’autant plus important que les chiffres de l’impact des effets secondaires dans l’ensemble des Etats-Unis sont frappants : plus de deux millions d’hospitalisations et plus de cent mille décès par an !
Curieusement, 26,5 % des annonces ont lieu un vendredi, au lieu de 20 % qui serait le résultat d’un choix aléatoire entre les cinq jours ouvrables de la semaine. Le choix du vendredi dépendant de l’agence de régulation et non des entreprises, on pourrait penser qu’il s’agit d’un hasard malheureux.
Hélas, pas tout à fait : dans l’échantillon des avertissements étudiés par les chercheurs, 23 % des laboratoires mis en cause avaient déjà fait du lobbying auprès de la FDA par le passé, et la part des avertissements les concernant publiée un vendredi est plus élevée que la moyenne (un tiers contre 26,5 %).
En d’autres termes, les entreprises qui font du lobbying ont une probabilité environ 50 % plus élevée de voir leur avertissement communiqué un vendredi. Car, pour l’entreprise, les bénéces sont clairs :la consommation du traitement diminue moins fortement malgré l’avertissement que si ce dernier avait été publié un autre jour de la semaine…
Publié dans Le Monde, 13 novembre 2019
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