Dans une période de crise sanitaire, tout le monde devient expert médical. Les réseaux sociaux sont inondés de conseils, d’astuces, de mises en garde. Chacun prône son diagnostic, son régime préféré. Nous débattons les mérites des essais cliniques à double aveugle et la nécessité de groupes de contrôle. On s’arrache des revues médicales comme des dernières parutions de BD.
Vous pensez que j’exagère ? Selon Google Trends, les recherches mondiales sur Google pour The Lancet, une des plus prestigieuses revues médicales, ont atteint à la fin du mois de mai une fréquence huit fois plus élevée que la moyenne des cinq dernières années (avec des utilisateurs chinois en tête de liste). Et en France, l’augmentation a été d’un facteur supérieur à trente !
Aléas de la procédure clinique
On pourrait supposer qu’à force de scruter les revues médicales la population deviendrait plus rationnelle, moins encline à suivre les rumeurs et les spéculations sur les traitements. Pourtant, la chercheuse américaine Emily Oster montre que la réaction du public à certains articles scientifiques peut renforcer, par effet boule de neige, des pratiques erronées («Health Recommendations and Selection in Health Behaviors», American Economic Review Insights n°2/2, juin 2020).
Grâce au grand nombre d’articles scientifiques qui paraissent chaque année, il peut en effet arriver qu’un traitement qui n’a pas d’efficacité thérapeutique se trouve néanmoins conforté par une étude, à cause des aléas de la procédure clinique. Si la presse en parle, le public peut s’emparer de ce traitement, dont la consommation augmente sensiblement.
Ce sont des conditions idéales, pourrait-on imaginer, pour vérifier par la suite si une consommation accrue a des effets bénéfiques. Hélas non, car les personnes qui réagissent en augmentant la consommation d’un traitement recommandé sont loin d’être représentatives de la population générale. Ce sont des personnes plus éduquées en moyenne, qui prennent soin d’elles et qui, par ailleurs, ont des comportements habituellement associés à un meilleur niveau de santé.
Dans les années suivantes, il est probable que ces personnes qui suivent le traitement auront de meilleurs résultats sanitaires. Mais le traitement n’y sera pour rien – ce sont ceux qui auraient de toute façon de meilleurs résultats qui ont choisi de consommer le traitement.
Vitamine E et cancer
Cette possibilité n’est pas purement théorique. L’auteur montre qu’au début des années 1990 plusieurs études avaient prétendu que la vitamine E pouvait réduire les maladies cardiaques et le cancer. La consommation de vitamine E a plus que doublé aux Etats-Unis en cinq ans. Ces nouveaux consommateurs étaient peu représentatifs de la population, avec, par exemple, une proportion de fumeurs plus faible de quatre points de pourcentage que la moyenne.
Avant 1994, la consommation de la vitamine E était associée à une baisse de mortalité, toutes causes confondues, de 10 %. Entre 1994 et 2004 la baisse de mortalité associée est montée à 25 %, grâce à sa consommation par des gens… déjà en bonne santé. Après 2004, quand les recommandations médicales en faveur de la vitamine E ont été supprimées à la suite d’autres études, celles-ci négatives, ce chiffre est revenu aux environs de 10 %.
Ce genre d’impact est plus fort lorsqu’il s’agit de traitements diététiques qui sont disponibles sans ordonnance, et desquels la preuve de l’efficacité demande des essais de longue durée. Mais un bruit médiatique peut influencer sensiblement la consommation de médicaments plus classiques – le traitement par l’hydroxychloroquine est un exemple récent.
Un public qui suit attentivement les études scientifiques est sans doute plus intelligent et averti. Mais il doit se méfier de réactions hâtives. Cela n’empêchera pas votre serviteur de scruter la presse pour y dénicher des nouveautés médicales. La dernière : le 7 juin, un article sur le site CNN Health annonçait un lien entre « la pensée négative » et le risque d’Alzheimer. Ne dites surtout pas que vous n’y croyez pas…
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