"Il faut prendre en considération le rôle de la consommation de viande et l’élevage intensif dans ces nouvelles épidémies"
La lutte contre les zoonoses, ces maladies transmissibles entre humains et animaux, impose de combiner santé humaine et santé animale, soulignent, dans une tribune au « Monde », trois chercheurs en économie et en écologie animale.
Tribune. L’émergence rapide et brutale du Covid-19 devra nous conduire à redéfinir nos politiques de santé publique. Si l’heure est à soigner et réparer les dégâts causés par ce nouveau virus, il sera primordial à terme de diminuer les risques d’émergence de telles maladies et de chercher à prévenir plutôt que guérir.
Ces politiques de prévention devront tirer les leçons de l’apparition et de la gestion des épidémies récentes, à commencer par le Covid-19, mais également des grippes aviaires et porcines, qui sévissent très régulièrement. Ces actions devront s’appuyer sur un discours de vérité scientifique, détaché des intérêts économiques de court terme, et prendre en considération le rôle de la consommation de viande et de l’élevage intensif dans ces nouvelles épidémies.
60% des maladies infectieuses
Les zoonoses, ces maladies transmissibles entre humains et animaux, représentent à l’échelle mondiale 60 % des maladies infectieuses et sont responsables de 2,5 milliards de cas de maladie chez les humains tous les ans dans le monde. Trois quarts des nouveaux agents pathogènes détectés ces dernières décennies sont d’origine animale.
Le phénomène n’est pas nouveau : la grippe espagnole de 1918, une des maladies les plus meurtrières de l’histoire de l’humanité, trouvait déjà ses origines chez les oiseaux. D’autres maladies infectieuses bien connues, comme la variole, la rougeole, la coqueluche ou les oreillons, proviendraient probablement des animaux domestiques.
Parmi les grandes épidémies qui nous ont frappés depuis la fin du XXe siècle, plusieurs proviennent de l’exploitation d’animaux dans les élevages : la maladie de Creutzfeldt-Jakob liée à la consommation de viande bovine (« vache folle », 1986), le virus Nipah originellement transmis par les chauves-souris et démultiplié par les élevages de porcs (1998), les multiples épisodes de grippe d’origine aviaire (H5N1, 1997 et 2004 ; H7N9, 2016), ou encore la grippe d’origine porcine (H1N1, 2009). Plusieurs épidémies ont également pour origine probable la consommation d’animaux sauvages, à l’instar du Covid-19 (pangolin ou chauve-souris), Ebola (viande de brousse ou chauve-souris) et le sida (viande de singes).
Notre consommation élevée de produits d’origine animale joue également un rôle indirect dans l’émergence de zoonoses. En effet, l’alimentation carnée nécessite davantage de surfaces agricoles qu’une alimentation végétale, si bien qu’elle contribue à la déforestation et réduit ainsi la surface disponible pour les espèces sauvages. Par la chasse et la transformation des habitats naturels, les humains et leur cheptel viennent au contact des animaux sauvages et de leur cortège d’agents pathogènes.
Spirale infernale
Face au lourd tribut humain associé à ces maladies et aux pertes économiques colossales qu’elles occasionnent, il faut s’interroger sur l’évolution de nos systèmes de production alimentaire. Les élevages intensifs favorisent en effet la transmission des virus. Dans le cas des poulets de chair par exemple, la promiscuité des animaux dans les bâtiments est très élevée, de l’ordre de 20 poulets par mètre carré.
De plus, leur faible diversité génétique liée au processus de sélection mondialisée d’animaux standardisés à croissance rapide favorise la transmission au sein et entre des élevages. L’intensité des flux et la dimension planétaire des mouvements d’animaux domestiques et des produits carnés au sein des filières commerciales internationales favorisent elles aussi la dispersion des agents pathogènes.
Ces épisodes répétés de zoonoses montrent que les futures politiques sanitaires devront nécessairement combiner santés humaine et animale selon l’approche « une seule santé » (« One Health »). Cette gestion nécessite beaucoup de moyens, qui sont largement supportés par la collectivité, à l’image de l’indemnisation des éleveurs pour compenser leurs pertes économiques. Pourtant, cette gestion semble bien insuffisante si l’on en juge par la multiplication récente des épidémies.
Au contraire, nos sociétés sont entraînées dans une spirale infernale. Alors que des animaux d’élevage toujours plus nombreux sont enfermés dans des bâtiments, le danger de propagation des virus est tel qu’il conduit souvent à un abattage préventif massif dès qu’un risque survient. En 2016, la Corée a ainsi abattu plus d’une dizaine de millions de volailles de manière préventive pour contenir la grippe aviaire.
Parce que les contacts avec l’extérieur représentent les principaux risques de contamination, les élevages confinent toujours davantage les animaux avec des mesures de précaution de plus en plus drastiques. Pour minimiser les risques de contact, les animaux sauvages sont éliminés en cas de danger de contamination ; c’est le cas par exemple en Europe des sangliers potentiellement porteurs de la grippe porcine.
Agir en amont
Par ailleurs, l’usage de médicaments vétérinaires peut conduire à l’effondrement des populations d’animaux sauvages ; ainsi, le Diclofenac utilisé pour traiter les bovins en Inde aurait décimé plus de 95 % des vautours, générant par un effet de cascade une épidémie de rage.
S’il est difficile, voire illusoire, d’empêcher les animaux de développer des maladies transmissibles aux humains, de contrôler leur apparition et de gérer les conséquences sanitaires et économiques, un des moyens les plus efficaces pour diminuer les risques d’épidémie consiste à agir en amont, c’est-à-dire à diminuer le nombre d’animaux potentiellement infectés auxquels nous nous exposons.
La préservation des habitats naturels, la diminution de la consommation carnée, la réduction de la taille des élevages intensifs et l’arrêt de la commercialisation (légale ou non) de la viande d’animaux sauvages constitueraient autant de mesures cohérentes et efficaces pour les politiques de santé publique de demain (« une seule santé »).
La réduction des risques d’épidémies mondiales viendrait ainsi s’ajouter à la longue liste de bénéfices associés à la végétalisation de l’alimentation mis en évidence ces dernières années dans les publications scientifiques : diminution des émissions de gaz à effet de serre et de la déforestation, baisse de la consommation d’eau, d’antibiotiques et des pollutions agricoles locales (par exemple : algues vertes), et réduction des maladies non transmissibles, comme le cancer, le diabète et les maladies cardio-vasculaires.
Il est important de tirer les leçons de cette crise pour réorienter notre économie vers des alimentations moins risquées pour la santé et plus respectueuses de l’environnement et des animaux.
Copyright Le Monde
Ajouter un commentaire